Agroalimentaire. La REUSE va ouvrir les vannes pour économiser des millions de m3 d’eau/an en Bretagne

Espéré, motivé voire anticipé, le décret autorisant la REUSE (réutilisation des eaux usées traitées) dans les entreprises est dans les tuyaux législatifs. Sa mise en consultation, effective jusqu’au 21 avril, découle du Plan Eau présenté par Emmanuel Macron, le 30 mars dernier. Une source d'innovations et de projets pour les industries agroalimentaires bretonnes, mobilisées depuis 2019 sur cette éventualité, aux côtés de l'ABEA. Tour d'horizon des potentialités avec un pool d'entrepreneurs engagés pour recycler leurs eaux produites ou consommées.

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Si la chasse aux réductions et aux possibilités de réemployer l’eau consommée a permis de réaliser des économies de l’ordre de 10% par site industriel (cf. les plans d’action du programme Ecod’O, notamment), les capacités envisagées avec l’accès à la REUSE (comprendre : Réutilisation des eaux usées traitées) s’annoncent d’une toute autre échelle. « Selon une étude menée par l’ABEA auprès de 28 industries agroalimentaires bretonnes, le volume d’eau potable économisable chaque année est égal à 2,5 millions de m3, soit l’équivalent de 1000 piscines olympiques », illustre Clothilde D’Argentré, cheffe de projets Environnement et filières au sein de l’Association bretonne des entreprises agroalimentaires, l’ABEA.

Des usages pratiqués ailleurs en Europe

Réunies autour d’une même table pour concrétiser ces projections, six industries agroalimentaires bretonnes, parmi les plus importantes, ont détaillé leurs projets et attentes en termes de REUSE. Selon ces sites, les économies d’eau estimées par son simple recyclage représenteraient de 18 à 75% de leurs consommations respectives. Un océan olympique !

Rappel pratique : En France, jusqu’alors, les industries ne peuvent recycler l’eau (même propre car traitée) dans leur process en contact des aliments. L’assouplissement de la réglementation, actée par l’application de ce décret attendue d’ici à la fin de l’année, viendra alléger cette restriction. Les eaux traitées et répondant aux qualités de potabilité pourront être recyclées dans des process internes agroalimentaires. Une révolution ici, qui est normalisée depuis des années dans plusieurs pays européens voisins. Directeur Qualité chez Ardo, à Gourin, Laurent Dumoulin avance des éléments de comparaison. « Le Groupe Ardo, spécialisé dans la surgélation de légumes, est basé en Belgique, où la REUSE est pratiquée depuis longtemps. Pour être recyclée, l’eau traitée doit être de qualité potable« , nuance-t-il. Résultat : un site de production Ardo en Belgique consomme deux fois moins d’eau que celui déployé en Morbihan. L’industriel a évalué à 150 000 m3 le volume d’eau économisable avec la mise en place de la REUSE, dont 36 000 m3 sur la seule ligne légumes racines où le projet de récupération et de recyclage de l’eau est d’ores et déjà dessiné et chiffré. 

Idem chez Lactalis, à Retiers (35), où une expérimentation a été menée sur une tour de refroidissement à partir de l’eau issue de la station d’épuration propre au site. « Cette technique nous permet d’économiser 420 m3 d’eau par jour et par tour », rapporte Xavier Cleuziou, expert environnement chez Lactalis. « Nous sommes dans les starting-blocks pour déployer le process, dès que possible, sur les 12 tours de refroidissement installées au sein de cette usine. » L’investissement planifié pour cela atteint le million d’euros. « Nous avons commencé les travaux car nous pensons que le décret sera validé rapidement, et surtout, nous ne voulons pas revivre une situation critique comme l’été dernier où les restrictions liées à la consommation d’eau nous ont conduit à stopper la production pendant plusieurs jours« , rapporte le représentant de la laiterie.

Le potentiel inexploité des produits laitiers

Au sein des laiteries, la REUSE est d’autant plus attendue qu’elle permettra de recycler et réutiliser l’eau issue des produits laitiers. Une source sous-utilisée jusque-là et pourtant disponible en quantité importante « Un litre de lait est composé à 88% d’eau », rappelle Pierre Barrucand, responsable environnement au sein de l’Association de la Transformation Laitière (ATLA). Il estime à 11 millions de m3/an le potentiel inexploité, en France, de valorisation d’eaux issues de la concentration de matières laitières (EMCL). Chez Entremont, où l’eau est un enjeu majeur pour le développement de l’activité, les économies réalisées depuis 2019 plafonnent à 7% du volume d’eau consommé. Avec les leviers de la REUSE, l’objectif est réhaussé à 20% d’ici 2030. « A partir de la matière lait, nous produisons 50% de nos besoins en eau, soit 380 000 m3 que nous ne pouvons pas encore utiliser car non autorisés« , s’exclame Nathalie Le Clezio dont l’entreprise a d’ores et déjà étudié les possibilités de réemployer 100% de ces eaux extraites du lait. 

« Les entreprises sont prêtes pour la plupart à réinjecter leurs eaux usées traitées. Chaque année, nous recevons en moyenne 200 dossiers de demande d’aides portés par les industriels bretons, dont les 2/3 concernent l’agroalimentaire », précise Olivier Brummer de l’Agence de l’eau Loire Bretagne. C’est le cas pour la Cooperl. Maëlle Fisselier, chargée d’étude eau au sein de la coopérative porcine, attend le feu vert législatif pour déposer deux dossiers, déjà bouclés, auprès des services de l’Etat : un concerne le lavage des boyaux de cochons, activité qui canalise 25% de la consommation d’eau totale ; l’autre le recyclage de la vapeur qui vise l’économie de 80 000 m3 d’eau par an. « Au total, nous pourrions économiser l’équivalent de 4 piscines olympiques« , image l’ingénieure en présentant le fonctionnement de la station de traitement des eaux usées que l’usine gère en interne et qui permet d’ores et déjà le réemploi de 350 000 m3 d’eau par an, à usage exclusivement extérieur.

Une logique de pérennité de l’activité

Si, de l’avis de tous ces spécialistes, les investissements chiffrés pour les installations liées à la REUSE sont, pour l’instant, plus importants que les économies d’eau qu’elles permettront de réaliser, les industriels ne montrent aucune hésitation. »On s’inscrit dans le sens de l’histoire, mais aussi et surtout dans une logique de pérennité de nos activités », résume Vincent Videau de la laiterie Laïta. 

« A l’été 2022, on a tremblé en Bretagne, en passant à quelques jours près de la rupture en eau« , rappelle Arnaud Lecuyer, vice-président au conseil régional de Bretagne, en charge de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de l’alimentation. « Les arrêtés sécheresse ont contraint l’accessibilité à cette ressource et les industriels à engager une boucle d’amélioration sur son usage. S’il est écologique, l’enjeu REUSE va rapidement devenir économique« , prévient l’élu en faisant référence au prix de l’eau intrinsèquement lié à sa disponibilité. 

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