“Mon père me disait toujours : “quand on a un bon jardin, on le cultive et on le fait fructifier. Ou encore : il y a pire qu’échouer, c’est de ne pas essayer”. Eh bien, j’ai suivi son conseil !”, déclare Monique Lenormand. Issue d’une famille d’agriculteurs d’origine morbihannaise installée à Sées (61), Monique Lenormand a quitté le collège à 15 ans : “Comme j’étais mauvaise en orthographe, on m’a dirigée en Maison familiale rurale et j’ai travaillé sur la ferme de mes parents pendant trois ans. Mon père était un professionnel toujours à la pointe du progrès agricole. Il a été l’un des premiers à pratiquer l’insémination artificielle sur son élevage bovin. Il m’a encouragée à passer un bac agricole à Tours. J’ai décroché, avec deux camarades, le 1er prix d’éleveur de veau du concours organisé par les JAC.”
Au cours d’un voyage en Allemagne, la future dirigeante rencontre un étudiant en sciences à Caen. En 1968, elle l’épouse, passe son BEPC et, grâce à une demi-bourse, prépare au lycée Coëtlogon à Rennes un bac technologique en gestion qu’elle obtient avec mention. “L’époque était propice pour faire des études et travailler”.
Elle rejoint à Josselin (56) son mari, responsable de production dans une usine de salaison. Elle s’investit dans les études, part à Angers où elle obtient un BTS, le probatoire du DECS et un diplôme de commercialisation des produits agricoles. “Chaque vendredi, je prenais le train de nuit pour rejoindre mon mari, directeur d’usine à Valence. Je cherchais un poste de technicien agricole : cela a été ma première expérience de la difficulté d’être une femme.”
L’insolence d’être une femme
“J’étais drôlement insolente, s’amuse aujourd’hui la dirigeante. Devant un employeur potentiel qui me demandait ce que je recherchais, j’ai répondu : “Je veux un poste où j’aurais du pouvoir”. Inutile de dire que je n’ai pas été retenue !”
Après une période d’intérim, Monique Lenormand donne naissance à une fille en 1974. “Je n’étais pas pressée de devenir mère mais j’ai été totalement séduite par ce bébé avec qui j’entretiens une relation quasi fusionnelle alors même qu’elle est aujourd’hui avocate et mère de deux enfants”.
Menant de front sa vie de femme et de salariée, Monique Lenormand s’engage ensuite dans le parcours de l’expertise comptable. “Mon patron du cabinet dans lequel je faisais mon stage de fin d’études refusait de me donner un poste de responsable d’équipe. Je suis partie pour rejoindre le groupe Le Duff le 1er janvier 1982. » Avec Louis Le Duff, patron de la Brioche Dorée, Monique Lenormand rencontre un interlocuteur à sa mesure. Il lui confie le poste de DAF “en trois minutes, mais au prix d’un engagement de tous les instants dans l’entreprise : j’avais demandé “un poste où je ne m’ennuierai pas”. Je croulais sous la tache mais j’ai compris le pouvoir de la volonté”.
Le pouvoir de la volonté
“J’avais toujours eu l’idée de créer mon entreprise. Mon mari avait monté une société de conseils et mis au point les premiers plats cuisinés basses calories.
J’ai proposé à Louis Le Duff de participer au tour de table de ma société. C’est ainsi que j’ai créé Sveltic Claude Léger en 1985. Nous avons d’ailleurs reçu le prix de la qualité de l’innovation en 1987. En démarchant la grande distribution, j’entrais dans un monde d’hommes. Je reconnais que j’avais toutes les clés pour décider lors des négociations commerciales et nous avons eu un succès immédiat.
En 1989, j’ai construit l’usine de 5 500 m² à Laillé, ça, c’est un vrai métier d’homme. J’ai été suivie par les banques sans problème : à l’époque, on faisait confiance au projet”.
Compétences ou pouvoir ?
“Au fur et à mesure que l’entreprise a grandi, j’ai voulu recruter des femmes : force est de constater que je n’ai jamais reçu de candidatures pour de postes de directeur technique, de directeur de production ni de cuisinier. J’ai pu promouvoir des femmes, par exemple une secrétaire d’accueil qui est passée directrice des achats. Souvent des opératrices de production sont devenues responsables de ligne ou de secteur, puisque l’automatisation réduit la pénibilité des tâches.
Lors de chaque recrutement, je ne fais aucune différence sur les salaires, c’est le poste qui compte, pas le sexe. Je développe un mode de management participatif auquel tout le personnel a été formé. Mais au tribunal de commerce, je suis “Madame le Président”. Il faut en faire beaucoup pour être légitime et j’ai gagné ma légitimité en créant une entreprise qui marche bien.
J’ai souvent constaté que les femmes sont dans la reconnaissance de leurs compétences, alors que les hommes sont dans la conquête du pouvoir.
J’ai quitté l’entreprise depuis 18 mois. Je suis consultante pour le groupe Le Duff qui m’a chargée de développer une gamme de produits bio et nature pour la RHF. J’ai enfin du temps pour me consacrer à mon jardin et à ma collection de peintures.
Rêveuse réaliste, j’ai pu porter mon projet car j’y croyais très fort. La confiance en soi vient en l’exerçant.”
Clotilde Chéron
N° 204 – décembre 2010 novembre 2011