Entreprendre sur une île relève de la conviction : plus que la création d'une activité, c'est un engagement social et environnemental primordial. C'est aussi le pari que la Brasserie de Groix est en train de remporter avec la double médaille d'or que ses bières viennent de décrocher au concours général agricole (Paris 2022), puis à l'international de Lyon. Au-delà de la qualité des produits, ce sont les fruits d'une dynamique économique alternative qui sont appréciés et la démarche singulière de Jean-Pierre Rennaud, président fondateur de la Brasserie de Groix, qui est saluée.
Installé à l’entrée du Salon du vin nature de Groix, qui s’est tenu mi-mai, le barnum des bières de Groix ne désemplit pas. Le sourire rayonnant, Sylvie et Jean-Pierre Rennaud, les fondateurs de cette brasserie locale créée en juin 2019 sur l’île, participent pour la première fois à ce rendez-vous du vivant, du durable et de l’écoresponsable.
Symbiose des valeurs, alignement des expériences : brasseur et viticulteurs s’accordent sur les mêmes évidences, celles d’une agriculture ancrée dans la biodiversité et d’une activité respectueuse de ses environnements qu’ils soient naturel, économique et social. Jean-Pierre Rennaud est dans son élément. Il enchaine les explications et discussions tout au long de la journée et le soir venu, embarque les personnes intéressées pour la visite de sa brasserie située à quelques ruelles du centre-bourg.
Dans l’antre de ce bâtiment flambant neuf, le docteur en biochimie, président du conseil d’administration de l’Institut Agro Montpellier (ex SupAgro), co-fondateur et directeur général du fonds d’investissement à impact Livelihoods Venture, créé en 2008 par des entreprises privées dont le groupe Danone où il a évolué pendant 25 ans, Jean-Pierre Rennaud donc est lancé dans une présentation passionnée et passionnante de son entreprise, la Brasserie de Groix.
Du champ au verre
Amoureux de l’île, qu’il a découverte avec sa famille il y a plus de 20 ans, Jean-Pierre Rennaud décide de s’y installer et d’y créer, -à l’âge où d’autres larguent les amarres de la vie professionnelle -, une entreprise particulière. Guidé par l’équilibre entre développement et environnement, il projette une activité qui respecte le terroir et l’histoire de Groix et qui porte une croissance respectueuse de ce territoire et de l’environnement en général. Ce sera une brasserie (savoir-faire qu’il maîtrise par formation et exercice pendant sa riche carrière), mais une brasserie artisanale qui inclut, en amont, la culture de l’orge et la régénération des sols, et en aval la distribution d’un produit noble et apprécié dont l’empreinte carbone est limitée.
« Aujourd’hui, l’enjeu de toute entreprise se concentre sur son impact ou comment établir une connexion durable entre l’entreprise et son écosystème », explique celui qui dirigea aussi le département Environnement du groupe Danone et engagea moult projets à impact positif, comme la restauration de mangroves au Sénégal, par le biais de l’agroforesterie et de l’énergie rurale. « J’y ai appris la relation intrinsèque entre la nature et le développement. Il n’y a pas d’activité sans terre fertile : tout développement part de la terre qui devient l’affaire de tous, et pas seulement celle des agriculteurs. »
Le retour de l’orge de Groix
A Groix, Jean-Pierre Rennaud travaille avec Jean-Philippe Turlin, technicien agricole engagé dans l’agriculture regénérative grâce à la technique dite sans labour. Ces deux-là se sont bien trouvés pour réimplanter la culture de l’orge sur l’île, dont la qualité était autrefois très prisée comme en atteste ce dicton du XVIe siècle : « blé de Groix, moulin de Blois, table du Roi ».
Cette fois, les grains n’iront pas jusqu’à Blois. Récoltés sur l’île, ils sont envoyés sur le continent pour être maltés et reviennent à Groix pour être brassés. « Nous cultivons deux types d’orge, celle d’hiver, puissante, et celle de printemps, plus minérale, afin de produire une bière pur malt aux tonalités gustatives différenciées. » En décembre 2019, la première GX de Noël a vu le jour. Six mois plus tard, la GX blanche était commercialisée. Entre les deux, cinq autres recettes ont été validées : de la fumée à l’IPA, en passant par la blonde, la Poivre et l’ambrée, ces deux dernières ayant été récemment médaillées.
Empreinte environnementale limitée
Jean-Pierre et Sylvie Rennaud ont investi 1,7 million d’euros pour la construction et l’équipement de la brasserie. Leur entreprise, qui est dimensionnée pour produire 2000 hectolitres, a permis la création de 5 emplois directs et la valorisation du terroir groisillon avec le retour de la culture de l’orge qu’ils espèrent croissante. Les entrepreneurs projettent aussi de construire une malterie d’ici 2023, afin de stopper les allers/retours de la céréale et éviter les ruptures de charges. « La Bière de Groix aspire à avoir l’empreinte la plus faible sur l’environnement et les ressources de l’île. » Circuits courts d’approvisionnement et de distribution, gestion économe de l’eau* et de l’énergie, recyclage des déchets… l’économie circulaire et la préservation de l’écosystème régissent la raison d’être de cette jeune entreprise.
En presque trois ans d’existence, dont deux freinés par la crise sanitaire, la Brasserie de Groix a tracé sa voie dans l’univers concurrencé de la bière bretonne. Démarche globale, dynamique économique, souveraineté de l’activité… Jean-Pierre Rennaud boucle un modèle entrepreneurial d’un genre en devenir. « Les chefs d’entreprise ont un devoir d’implication pour la régénération de la terre et de leur développement. Le business est désormais lié à l’impact environnemental. C’est notre responsabilité individuelle et collective », souligne le néo-entrepreneur.
Une entreprise de terroir
Ses vies professionnelles et nombreuses responsabilités l’ont façonné d’expériences et de connaissances qu’il compte aujourd’hui léguer. « La brasserie, c’est la synthèse de ce que j’ai appris et compris du monde. C’est tout ce que j’ai dans la tête et sur le cœur au service d’une transition structurelle nécessaire afin de nous adapter au changement climatique et limiter le réchauffement », résume Jean-Pierre Rennaud. Dans quelques années, le fondateur de la brasserie de Groix envisage de transmettre cet outil, dans sa globalité et sa finalité : devenir une entreprise de terroir.
Les Bières de Groix sont distribuées sur l’île et dans de nombreux points de vente sur le continent, de Nantes à Lorient, en passant par Rennes évidemment. La Brasserie se visite l’été sur réservation.
*La Brasserie de Groix participe au dispositif Ecod’O