Emploi des cadres. « On assiste à un retournement du marché », estime Marie-Laure Collet, vice-présidente de l’Apec

Après deux années passées à la tête du conseil d’administration de l’Association pour l’emploi des cadres* (Apec), la Bretonne Marie-laure Collet se confie sur son mandat au sein de cette organisation privée et paritaire chargée d’aider les cadres et les jeunes diplômés de l’enseignement supérieur dans leur parcours professionnel. Femme, cheffe d’entreprise, issue des territoires, experte en politique de formation et ressources humaines, elle a parfois dû se battre, « plus qu’un homme », pour faire valoir ses idées. Sa soif d’apprendre, son engagement et la culture « apécienne » auront été ses meilleurs alliés. Employabilité, formation, loi France Travail … Retour sur deux années particulièrement intenses.

Que retenez-vous de ce premier mandat national ?

Je suis une apprenante et j’ai énormément appris en deux ans. Tout d’abord, sur le paritarisme et les jeux de positionnement des syndicats, les uns par rapport aux autres. Je peux dire que je suis devenue politique, moi qui suis quelqu’un de direct par nature et dans l’efficience. En prenant ce mandat national, j’ai pu mesurer combien, globalement, les solutions qui partent de la base, de la réalité du terrain, ne sont pas suffisamment entendues et prises en compte. Grâce à mon parcours de cheffe d’entreprise et ma connaissance des politiques de formation et RH, j’ai compris assez vite ce qu’était l’Apec et où je voulais l’amener.

 

Quelles ont été vos priorités ?

L’un des piliers majeurs de mon mandat a été de renforcer la présence de notre association à travers les divers territoires de la France : l’Hexagone et en Outre-mer. Je l’avais dit dès le début, je suis une femme des territoires convaincue des spécificités à prendre en compte dans toutes les politiques économiques et surtout sur celles de l’emploi. Si j’ai été respectée par toutes et tous, je n’ai pas eu la même écoute que si j’avais été un homme. C’est une chose qui s’observe dans le regard de l’autre et que beaucoup de femmes élues ressentent. J’ai énormément travaillé pour me faire entendre. Par chance, il règne au sein du conseil d’administration de l’Apec un esprit de consensus et une bienveillance qui m’ont aidés à prendre confiance. Les élus de la République, qui par le passé m’impressionnaient, sont devenus des interlocuteurs comme les autres auprès desquels je me dois de faire passer des messages, qu’ils soient ou non conformes à leur vision. J’ai maintenu un engagement ferme pour ancrer notre association au cœur des discussions cruciales sur l’évolution du monde du travail. Nous sommes conscients que le paysage professionnel évolue et, avec lui, nos responsabilités.

 

A quoi faites-vous référence en particulier ?

L’Apec, comme tous les autres organismes paritaires, a participé entre mi 2022 et fin 2023 à l’ensemble des réunions préparatoires préfigurant à la création de France Travail. Si la loi est bonne sur le fond, cette nouvelle organisation, qui redéfinit le rôle des différents acteurs (organismes de formation, entreprises et cabinets de recrutement, collectivités locales, jobboards, etc) pour mieux fluidifier le marché de l’emploi, ne privilégie pas assez les entreprises dont les capitaux sont français et qui payent leurs impôts en France. Les Gafa et les groupes internationaux tiennent une place trop importante dans ce futur réseau (schéma ci-contre tiré du rapport de synthèse de la concertation de la mission  de préfiguration France Travail ). Je m’interroge sur la souveraineté des compétences si on oriente les demandeurs d’emplois et les salariés vers des outils dont les données sont hébergées hors de France.

 

Pouvez-vous nous présenter l’Apec ?

La culture « apécienne » a été une très belle découverte. Le niveau des collaborateurs est très bon et l’intelligence collective y est pratiquée au quotidien. Je regrette que l’association reste trop méconnue, notamment auprès des TPE-PME. Son budget, en hausse ces dernières années du fait de l’augmentation des cadres, atteint 165 millions d’euros et son effectif 1 100 personnes. Sa mission essentielle tient dans l’accompagnement des cadres pour leur garantir une employabilité maximale tout au long de leur carrière. Avec de bons outils, ça marche. Pour preuve, en 2021, les équipes ont déployé un programme, « Nouveaux Horizons », destiné aux cadres au chômage depuis plus d’un an. Depuis, plusieurs milliers d’entre eux ont été pris en main par un consultant de l’Apec avec à la clé des ateliers collectifs et des rendez-vous individuels destinés à reprendre confiance en soi. Au bout d’un an, 70 % ont retrouvé un emploi. Cette année, ils étaient 3 000 à suivre ce programme. Ils seront autant en 2024. Quand le dispositif est adapté, les résultats sont au rendez-vous. Une personne éloignée de l’emploi ne réussira jamais seule à retrouver un travail.

Comment se porte le marché de l’emploi des cadres ?

La France compte 4 millions de cadres. Ils représentent 21% de la population active salariée et leur nombre dépasse aujourd’hui celui des ouvriers dont la part s’élève à 20%. Les femmes cadres pèsent 40% dans l’effectif total. En 2000, elles n’étaient que 10%. C’est dire le chemin parcouru en 20 ans. Toutefois, les femmes continuent à gagner moins : 46 000 euros en moyenne par an quand les hommes gagnent 53 000 euros. La loi Rixain** du 24 décembre 2021 devrait continuer à réduire cet écart. Après le rebond observé en 2021, le marché stagne depuis fin 2022. C’est encore plus flagrant depuis l’été 2023. On assiste à un début de retournement du marché de l’emploi des cadres. Cette tendance est confirmée par la fédération Syntec dont les membres (entreprises du numérique, de la formation professionnelle, de l’évènement et les cabinets conseil) enregistrent cette année une baisse de leur chiffre d’affaires. C’est davantage le fait des TPE/PME que des grands groupes. L’inflation, la réévaluation des salaires mais plus encore le manque de compétences les freinent dans leur développement. Sans compter que l’échéance du remboursement des PGE, qui tombe fin décembre 2023, va aussi peser dans les comptes. Aujourd’hui, de nombreuses TPE/PME sont prises à la gorge, la concurrence avec les enseignes nationales s’intensifie. Le prix, quoiqu’on dise, reste le principal arbitre.

Quelles sont vos priorités dans les mois à venir ?

Je n’ai plus le leadership au sein du conseil d’administration de l’Apec mais je poursuis dans la fonction de 1ere vice-présidente au nom du Medef. Le parcours est loin d’être terminé, et je suis enthousiaste à l’idée des possibilités qui se présentent avec un Conseil d’Administration sensiblement le même et un nouveau président, qui va poursuivre ses travaux dans la continuité. Ici à Rennes, avec Loïc Gallerand, président du groupe Interaction, je vais m’occuper plus spécifiquement des partenariats en faveur de l’inclusion, en plus de mes missions stratégiques et de lobbying. Je préside également le groupe Kalicéa qui porte entre autres les marques Abaka, MyJob.Company et Calder & partners .Pour rester dans la course il faut se réinventer tous les jours, être à l’écoute des autres et savoir rendre service. Je suis et je reste une bretonne, les deux pieds bien ancrés dans le sol, qui regarde la mer pour voir d’où vient le vent.

 


*L’Apec est composé de représentants des entreprises (Medef, CPME et U2P) et des cinq centrales syndicales représentant les cadres salariés du secteur privé : CFE-CGC, CFDT, CGT, FO et CFTC, le conseil d’administration de l’APEC fixe les orientations stratégiques nécessaires au fonctionnement de l’organisme. Il aide également les entreprises à recruter en particulier les TPE-PME et fait office de centre d’observatoire de référence du marché des cadres en France.
**Adoptée en décembre 2021, la loi « Rixain » a étendu l’objectif de représentation équilibrée entre les femmes et les hommes aux instances dirigeantes en fixant de nouvelles obligations pour les entreprises d’au moins 1.000 salariés. La prochaine échéance aura lieu au 1ermars 2026

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