Anne Le Goff, directrice générale déléguée chez Crédit Mutuel Arkéa « Les performances financières ne suffisent plus : une entreprise qui n’a pas intégré le sujet des transitions a vocation à s’éteindre »

« Calculer les risques, prévoir l’avenir ». Crédit Mutuel Arkéa a mis au point une méthodologie unique qui lui permet d’évaluer sa performance extra-financière. Bilans carbone, environnemental, social et sociétal, tous les paramètres sont passés au crible de l’impact afin de calculer précisément l’empreinte du groupe bancaire sur son territoire, et au-delà. « Demain, les indicateurs du développement ne s’arrêteront plus à la seule croissance du PIB. L’impact sera déterminant pour la pérennité des activités », avance Anne Le Goff, directrice générale déléguée du groupe Crédit Mutuel Arkéa qui pilote, en binôme avec Hélène Bernicot, directrice générale, une stratégie volontariste axée sur les transitions.

Depuis 2021, Crédit Mutuel Arkea inclut la valorisation de sa performance extra-financière dans son bilan. Pouvez-vous revenir sur la genèse de cette innovation, et sa motivation ?

« Nous travaillons depuis 2012 sur le sujet de la performance extra-financière, qu’on appelait alors « empreinte ». Et c’est, en partie, grâce à la CCI métropolitaine Bretagne Ouest et la métropole brestoise qui, à l’époque, nous avaient convié à une réflexion sur de la valeur ajoutée du port de commerce de Brest.
Conscient d’être un acteur majeur de la dynamique territoriale, nous avons transposé cette réflexion sur notre propre impact. L’étude de nos retombées économiques et sociales a permis de révéler que la création d’un emploi au sein du groupe Arkéa en générait deux indirects sur le territoire breton.
A partir de là, nous avons lancé un groupe de travail en interne pour infuser ces résultats dans notre stratégie, et définir les contours de ce que l’on appelle aujourd’hui la RSE. Tout s’est accéléré avec la promulgation de la loi Pacte qui interroge justement le rôle et la mission d’une entreprise. Nos travaux allaient dans le bon sens et renforçaient notre recherche d’indépendance motivée, justement, par l’évaluation de notre rôle et de notre impact en local.

En 2020, notre Raison d’être – définie grâce à un travail collaboratif fondé sur le « faire ensemble » – était votée. En 2021, nous élaborions un nouveau plan stratégique à moyen terme centré sur les transitions, et dénommé tout simplement « Transitions 2024 ». En mai 2022, nous inscrivions nos ambitions dans le marbre en devenant « Entreprise à mission ».
Cette séquence a marqué une inflexion très nette dans la trajectoire du groupe, et une singularité que nous voulions mesurer. D’où cet outil de calcul de la performance extra-financière bâti à partir de 24 indicateurs environnementaux, sociaux et sociétaux, élaboré par notre direction financière renommée en juin dernier Direction Finance et Performance globale, avec le soutien de nos commissaires aux comptes.

Nous sommes partis d’une page quasiment blanche, avec la volonté de mesurer à la fois notre empreinte directe en tant qu’entreprise (bilan carbone, employabilité…), celle indirecte liées à nos actions (recours à des fournisseurs locaux, soutien à l’emploi local…) et enfin, celle induite par nos accompagnements. La démarche est innovante pour une banque, en France c’est sûr et, à notre connaissance, en Europe. »
 

Est-ce à dire que le groupe bancaire est entré dans une nouvelle ère, celle de la résilience afin de faire face aux changements climatiques, économiques et sociétaux ?

« Nous venons de vivre des années déterminantes, rythmées par l’alternance de crises et d’opportunités. Aujourd’hui, une entreprise qui n’a pas intégré dans sa stratégie les critères environnementaux, sociétaux et de gouvernance (ESG), a vocation à s’éteindre à petit feu, si ce n’est plus violemment. Nous sommes persuadés que demain, la performance sera globale ou ne sera pas. D’où ce un chemin que nous construisons pas à pas, avec la conviction que les compteurs d’appréciation d’une activité ne seront plus les mêmes. Je pense, personnellement, que la croissance du PIB ne sera bientôt plus l’unique indicateur référent en termes de développement. »

Quels sont vos objectifs en termes de performance extra-financière ?

« Ce n’est pas tant le montant absolu qui nous intéresse que la lecture analytique de notre progression. Nous sommes lancés dans une logique responsable et exigeante qui nous pousse à aller plus loin.
En deux années d’exercice*, nous avons identifié plusieurs leviers d’amélioration de notre méthode de calcul, que ce soit le niveau de couverture (aujourd’hui, 70% de nos financements intègrent la méthodologie, nous visons les 100% rapidement), ou l’agrégation de données plus précises, propres à nos activités et à celles des parties prenantes, pour remplacer les valeurs génériques qui ont servi à construire le modèle.

En parallèle, nous commençons à mesurer l’impact de l’activité du groupe sur le réchauffement de la planète, c’est-à-dire que nous vérifions l’alignement de notre empreinte directe et des financements bancaires que nous accordons avec les accords de Paris.
Par exemple, nous nous étions engagés à baisser notre empreinte carbone directe de 10 000 tonnes, sur les 64 000 tonnes de CO2 que nos activités génèrent. La mesure a révélé que cet objectif est insuffisant pour respecter la limite des 1,5°à 2° degrés, fixée par les Accords. Nous sommes donc en train d’élever notre niveau d’exigence pour aligner notre trajectoire aux ressources planétaires, tout en préservant notre capacité de développement. »
 

Ce cap vers la décarbonation de vos activités entend-il l’exclusion d’investissements sur certains marchés ? On pense notamment aux énergies fossiles…

« Indépendamment de cet outil de mesure, nous nous fixons effectivement des zones d’exclusion, comme le financement du marché du charbon dont nous serons sortis au plus tard en 2027. D’ici fin 2030, nous stopperons également les investissements et prêts bancaires liés aux énergies fossiles non conventionnelles (c’est-à-dire des ressources fossiles dont l’extraction nécessite des techniques complexes et complémentaires aux méthodes conventionnelles, comme la fracturation hydraulique par exemple ; ndlr). Ces politiques d’exclusion sont publiées dans des documents officiels accessibles sur notre site internet. »
 

A terme, vos résultats extra-financiers guideront ils votre politique d’octroi de prêts ?

« A ce stade, l’outil n’a pas vocation à descendre à la granularité des clients, ni de scorer les projets ou les entreprises que nous accompagnons. C’est un guide d’orientation qui apporte un éclairage sur l’impact de nos décisions en valeurs positives ou négatives. Il sert également à sensibiliser nos clients, ouvrir des discussions sur l’impact de leur projet, et étudier, le cas échéant des pistes d’amélioration. Loin de la sanction, nous avançons en faveur de la construction de solutions, ensemble. Nos conseillers deviennent des partenaires engagés dans les transitions locales, en portant des convictions et non plus la voix du tarif uniquement. Le prix reste un sujet que l’on discute avec son banquier, évidemment, mais avec ce supplément de valeurs qui rend la relation atypique. C’est le retour que nous font les équipes.

Un exemple : Crédit Mutuel Arkéa est un acteur important sur le marché immobilier. Les indicateurs extra-financiers revisitent indéniablement nos orientations, en termes de performance thermique des logements, de leur emprise foncière, et aussi de qualité de vie, d’emplois…  Toutes ces questions sont désormais abordées sous le prisme de l’impact. C’est aussi notre façon de montrer le chemin sans donner de leçon, d’agir en faveur de territoires responsables à la lumière des enjeux planétaires. »
 

Quel est l’avantage de traduire l’ensemble de vos impacts en euros ? Cette conversion vous épargne-t-elle du greenwashing ?

« C’est d’abord par souci de simplification : la monétarisation de nos impacts rassemble autour d’une même unité de mesure qui est l’euro, ce qui pour une banque crédibilise notre approche et fédère davantage.

Pour autant, même convertie en euros, cette approche traduit un résultat plutôt qu’un bilan actif. Notre volonté est de démontrer par la preuve l’ensemble de nos impacts, qu’ils soient positifs ou négatifs. La preuve nécessite d’être sincères, transparents et humbles. On veut tout montrer, y compris les points de progrès. Nous sommes déterminés à convaincre, et cela passe par la preuve. Être concret, c’est indispensable quand on s’engage dans l’impact, c’est aussi, vous avez raison, une façon de contrecarrer les attaques de greenwashing. »
 

Cette nouvelle trajectoire vous permet-elle de rester rentable ?

« Le Crédit Mutuel Arkéa s’inscrit historiquement dans une trajectoire de développement rentable. Le rester est indispensable, mais ce n’est pas l’arrière-pensée qui guide notre démarche actuelle. Nous sommes sincèrement en train d’inscrire de nouveaux paradigmes à notre trajectoire en élevant notre impact comme moteur de notre développement. C’est une exigence supplémentaire. Pour nous, la rentabilité financière qui ne s’inscrit pas dès à présent dans l’intérêt de la planète et de ses habitants n’a plus de sens. »

*Pour sa première année d’exercice global (2021), le Crédit Mutuel Arkea annonce une performance extra-financière de 8,1 milliards d’euros, en hausse de 7,3% par rapport à 2020.

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