Olivier Lluansi : La création de fonds régionaux comme levier à la réindustrialisation

Il interviendra le 22 octobre prochain à Vannes, à l’occasion de l’Open de l’industrie. Olivier Lluansi, enseignant à l’école des Mines de Paris, a été le conseiller industrie et énergie de François Hollande, puis missionné en 2023 par le ministère de l’économie pour rédiger un rapport sur la réindustrialisation de la France à l’horizon 2035. Les défis sont colossaux : formation, foncier, financement, promotion du made in France, soutien aux ETI-PMI…. Pour l’expert, il faut agir de concert sur tous ces leviers, en laissant le plus possible l’initiative aux territoires. Aujourd'hui, l'industrie pèse pour 10% du PIB, ce qui place la France aux derniers rangs de l'Union européenne, au niveau de la Grèce. L'objectif raisonnable pour 2035 serait d'atteindre entre 12 et 13% ou, dit autrement, une balance commerciale (hors énergie) équilibré.

Quels sont les principaux leviers à la réindustrialisation ?

Il n’existe pas une solution qui résoudrait tout, mais plusieurs leviers à actionner simultanément. Je commencerai par notre système de formation. Si nous avons un nombre suffisant de formations aux métiers industriels jusqu’à Bac+3 pour alimenter la réindustrialisation, une sur deux personnes diplômées ne rejoint pas ces métiers. Un taux « d’évaporation » de 50% !.  Il faut davantage former dans les territoires, pour les besoins des territoires car la mobilité reste faible en France. Aujourd’hui, on fonctionne par métiers et par publics (apprentis, demandeurs d’emploi, formation initiale), nous devons changer d’approche. Un second sujet est l’attractivité des métiers industriels. Il y a beaucoup d’initiatives faites dans tous les territoires mais l’image de l’industrie reste encore très dégradée. Nous avons une bataille culturelle à mener. Elle réussira à condition que les modèles d’organisation soient plus en phase avec les jeunes générations. La flexibilité et l’équilibre vie privée-vie professionnelle est un des grands chantiers à mener pour les organisations industrielles. Je pourrais évoquer aussi la simplification administrative, la fiscalité et un prix de l’énergie compétitif sont aussi indispensables à la réindustrialisation.

En matière de politique foncière que préconisez-vous ?

A l’Horizon 2030, 93% des intercommunalités n’auront plus de foncier disponible. Notre politique sur le foncier industriel repose sur des règles aveugles à la diversité des territoires, descendantes, qui nous ont complètement bloqués. Or pour réindustrialiser, il faut du foncier pas tant que cela 25-30.000 hectares sur dix ans, mais tout de même : Il est donc nécessaire de changer les règles du Zéro artificialisation nette (Zan), au moins pour l’industrie, réhabiliter des friches industrielles et les réserver du foncier dès à présent aux usages industriels. Si le génie industriel est une clé pour les solutions de décarbonation, l’économie circulaire ne pourra pas être réinventée sans lui. De même, réindustrialisation, espaces naturels et biodiversité peuvent aller de concert. Une réindustrialisation qui ne serait pas décarbonée ou qui ne serait pas respectueuse de la biodiversité serait vouée à l’échec, elle mettrait instantanément à dos 30% des Français.

 

Quels sont les principaux financements à mobiliser ?

Le soutien public est indispensable comme l’enveloppe de 100 millions d’euros par an accordée à Territoires d’industrie. Mais son dimensionnement reste insuffisant. Il aurait fallu qu’il soit abondé à hauteur de 300 millions d’euros par an, complétée par une autre enveloppe de 300 millions d’euros de fonds européens et une contribution équivalente des régions, le tout copiloté par les élus en régions et les Préfets. Il faudra aussi trouver une parade pour contrer les offensives des autres pays, comme l’Inflation Reduction Act (IRA) américain, en faveur de l’industrie verte.  Au total, 200 milliards d’euros seraient nécessaires pour accompagner la réindustrialisation, soit 3% des 6.000 milliards d’euros d’épargne des Français. 3% seulement : avec notre épargne, nous avons une ressource. Il faudrait qu’on soit capable de la flécher vers notre industrie. La création de fonds régionaux, sous l’impulsion politique des conseils régionaux et avec des équipes professionnelles de gestion de fonds qui sont déjà présentes dans toutes les capitales régionales constituerait un vrai levier. L’idée serait de créer une épargne territoriale avec du sens : j’investis une petite partie de mon épargne en développant mon territoire, ma région… Ces dispositifs existent déjà, en particulier en Bretagne (Breizh Up). Simplement, ils sont trop petits et peut-être même confidentiels. Il faudrait les faire grandir à la taille du milliard d’euros par région. Et là, on commencerait à avoir un outil de financement de notre réindustrialisation ciblé sur les PMI et les ETI.

Quelle sont les productions essentielles sur lesquelles concentrer ?

On a eu cette réflexion sur les productions essentielles avec les éoliennes, les batteries, les panneaux solaires, ces grands objets qui sont dans le Green Deal dont on a dit qu’ils sont fondamentaux pour notre objectif de transition énergétique, et dans une certaine mesure, sur les puces électroniques. Nous voulons avoir une capacité de production en Europe et nous y mettons les moyens, essentiellement par la subvention publique. Mais cette réflexion reste pour le moment incomplète, elle ne couvre que quelques segments de marché. Il ne s’agit pas de fermer notre marché,  il nous faut l’ouvrir mais sous condition pour se permettre de continuer notre projet collectif européen de manière souveraine. C’est la question du modèle de notre outil productif au service que notre projet de société, alors que nous entrons dans une période de multi-crises et une économie de rareté. Par exemple, en cas de stress hydrique, il faudra nous poser la question: quelle production arrêter et quelle production garder pour ne pas trop impacter les nappes phréatiques ? Plus généralement la question sera de savoir quels outils de production devrons-nous privilégier pour faire face aux crises ?

 

 

La démarche de relocalisation telle que menée en Bretagne est-elle un facteur de réindustrialisation ?

Si nous avions une commande publique plus vertueuse, en s’alignant par exemple sur les pratiques allemandes, tout en restant bien dans un cadre européen, nous pourrions générer de l’ordre de 15 milliards d’euros de chiffre d’affaires supplémentaire du Made in France. Cela correspond à un quart de notre déficit commercial de biens ! Pour cela, il y a un changement de jurisprudence et des pratiques à faire naître. L’acheteur public d’une petite commune ne va pas affronter le droit de la concurrence et le droit européen. Il faut l’accompagner. La démarche de relocalisation par les achats inter-entreprises lancée par la Région Bretagne s’inscrit dans cette même logique en profitant d’un attachement à un territoire, sans doute plus fort qu’ailleurs. Elle s’inscrit dans une logique culturelle portée par un patron- acteur du territoire, Loic Henaff. C’est pourquoi je crois en sa réussite, peut-être davantage que celles similaires engagées dans d’autres régions. Cet attachement territorial est important : le made in Allemagne ne crée pas le même effet que le made in France. Quand un acheteur allemand va voir son directeur des finances ou son directeur général pour lui dire « j’ai acheté du Made in Germany », il a un sentiment d’approbation parce que pour tout le monde ça rime avec « qualité ». Le même acheteur, en France, n’aura pas la même réaction en face. C’est la question des valeurs que portent une marque territoriale.

 

Quel est « le potentiel caché des territoires » auquel vous faites référence dans votre livre intitulé « Réindustrialiser, le défi d’une génération » ?

L’accompagnement des ETI ou des PMI ancrées dans les territoires est indispensable à notre politique industrielle. Dans un précédent rapport publié par La Fabrique de l’industrie, nous avions mis en lumière un véritable potentiel que nous avions qualifié de « caché », parce que nous avions découvert de nombreux projets qui passaient sous le radar de la puissance publique. La BPI a depuis confirmé cela par une étude sortie en mai 2024, auprès d’à peu près 3.000 chefs d’entreprises industrielles : si toutes nos PME et ETI concrétisaient la totalité de leur plan de développement, nous aurions déjà fait les deux tiers de notre réindustrialisation. Hélas, ces projets ne sont pas suffisamment soutenus ou accompagnés, par assez « de rupture » pour être éligibles à des programmes comme France 2030 qui privilégient les start-ups, les gigafactories et la décarbonation. Il faut donc rééquilibrer l’allocation des ressources publiques pour prendre en compte tout ce potentiel. D’autant que nous avons en France une culture entrepreneuriale forte, avec une nouvelle génération prête à relever le défi de la réindustrialisation.

 

 


Olivier Lluansi interviendra le 22 octobre prochain matin, dans le cadre de l’Open de l’industrie, le grands rendez-vous de l’industrie en Bretagne.

Il est encore temps de s’inscrire et découvrir l’ensemble du programme

Évènements

AGENDA DES ÉVÈNEMENTS À VENIR

Palmares
des entreprises
bretonnes

PALMARES 2023-2024 Je commande

Bretagne Économique