L’étude réalisée par Kantar Insights France pour la Fédération Nationale des Caisses d’Épargne en ce début d’année met en lumière une baisse spectaculaire de la notoriété des dirigeantes d’entreprise. « En 2024, seuls 10 % des personnalités citées spontanément comme responsables de grandes entreprises étaient des femmes. En 2025, ce chiffre tombe à 3 % ! Cette invisibilisation est encore plus marquante quand on sait que 64 % des répondants déclarent ne connaître aucune femme cheffe d’entreprise, un chiffre en hausse de 7 points par rapport à 2024. Parmi celles qui émergent, Liliane Bettencourt reste la plus citée, alors qu’elle n’est pas cheffe d’entreprise. Mais son score est en recul de 4 points », pointe l’étude.
Les obstacles qui entravent l’essor des femmes dans l’entrepreneuriat restent multiples, mais l’étude met en évidence plusieurs barrières majeures : le patriarcat, l’entre-soi masculin et le machisme. « 31 % des répondants estiment qu’ils constituent le principal frein. » Viennent ensuite les préjugés et discriminations (14 %), la charge familiale et le manque de disponibilité (12 %) et enfin, un supposé manque de compétences ou d’ambition (10 %).
« J’ai mis 6 à 7 ans me sentir légitime »
Ces obstacles, Rachel Denis Lucas a dû les affronter, lorsque dans les années 2000, après avoir travaillé 3 ans aux Etats-Unis pour l’entreprise française de céramique culinaire Emile Henry, elle décide de revenir en Bretagne pour participer au développement de l’entreprise familiale. A l’époque, Denis Matériaux (Guichen-35), employait 150 salariés, contre 500 aujourd’hui. Progressivement, elle fait sa place, en prenant en main les RH, la sécurité, le marketing tout en naviguant dans un milieu on ne peut plus masculin.
« J’ai mis 6 à 7 ans à me sentir légitime. Avant de revenir travailler dans le bâtiment, je ne me rendais pas compte à quel point être une femme c’est être différente. Ce sont des chances et ce sont des problèmes. Avant, j’étais Rachel, j’étais une professionnelle. C’est dans le bâtiment qu’on m’a fait me poser la question de la place de la femme, quand je me suis sentie décalée dans le langage et les codes autour de moi. Est-ce que je dois alors adopter un comportement masculin ? Ou au contraire, dois-je m’effacer ? Où est-ce que je mets le curseur ? Chaque dirigeante a sa propre stratégie. À mon sens, il ne faut pas se transformer, mais il y a une adaptation à avoir, à conscientiser. J’ai mis vingt ans à le comprendre, à me dire « les hommes pensent comme cela. »
Engagée au sein de Femmes de Bretagne depuis 2023
De cette expérience, Rachel Denis-Lucas veut faire profiter les autres femmes. Elle décide alors de donner de son temps, considérant avoir atteint un palier dans le développement de l’entreprise familiale. Début 2023, elle rejoint Femmes de Bretagne. « Cela résonne en moi, parce que je suis une femme, parce que je suis bretonne, et parce que je suis entrepreneure, résume-t-elle. L’entrepreneuriat, quand on débute, ce n’est pas une question de sexe, mais c’est une aventure, une prise de risque. Les femmes doivent se montrer assertives, exigeantes et intransigeantes. J’avais réussi et je voulais aider les autres. »
Désormais membre du conseil d’administration, elle veut participer à écrire la feuille de route du réseau, pour en faire « un centre de ressources et de ressourcement ». « Les bases pour entreprendre, cela s’apprend. Les femmes qui quittent le salariat pour créer leur entreprise, souvent tardivement et sans formation préalable, se sentent isolées et un peu « perdues . Femmes de Bretagne leur apporte une montée en compétence via des ateliers, mais aussi un réseau solidaire et de proximité avec des échanges de best practices, de la confiance en soi, et des débouchés pour leur offre de services ou de produits.»
Créée en 2014, l’association Femmes de Bretagne et de Loire-Atlantique, aujourd’hui présidée par Martine Burel, réunit 1 500 adhérentes sur les cinq départements bretons historiques. Avec douze membres au conseil d’administration et une cinquantaine de coordinatrices, elle est aujourd’hui la première association féminine de Bretagne et l’une des premières de France, et tourne grâce à un budget global de fonctionnement de 250 000 euros annuel.
Des initiatives pour valoriser l’entrepreneuriat féminin
D’autres initiatives ont vu le jour pour enrayer cette invisibilité des femmes dans la sphère économique et médiatique. A l’image des Expertes.bzh, une plateforme gratuite qui permet à chaque professionnelle de créer sa fiche, d’être répertoriées et ainsi d’être facilement identifiable par les médias et organisateurs d’événements bretons. « Nous avons eu envie de briser les freins, de créer un projet qui permettrait à des femmes d’être visibles, avec leur expertise, utile pour tout le monde et mise en avant… Il fallait qu’on arrête d’entendre: « Mais on ne trouve pas de femmes ! », expliquent leurs créatrices Gaël Le Saout, Céline Monsallier, Maryne Bruneau et Armelle Léna.
Le concours « 101 Femmes Entrepreneures », élaboré par le Ministère chargé de l’Egalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, met en lumière 101 entrepreneures sur l’ensemble du territoire français (une par département), dans le but d’inciter les femmes à se lancer dans l’entrepreneuriat. Organisé par Bpifrance en partenariat avec les chambres de commerce et d’industrie, ce concours est ouvert à toutes les candidates, porteuses de projet, créatrices ou repreneuses d’une entreprise depuis moins de trois ans. Elles ont jusqu’au 4 avril 2025 pour déposer leur dossier de candidature.
La Région Bretagne n’est pas en reste. Fin 2024, elle a voté un plan de 95 actions, pour accélérer la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes. Parmi les mesures concrètes est proposée un renfort du soutien aux femmes dans la création d’entreprise. Objectif : 50 % de femmes accompagnées à travers le dispositif Pass Création de la Région. Les établissements professionnels seront aussi incités à renforcer la mixité dans leurs formations pour atteindre 40 % de classes mixtes en 2027 notamment dans l’industrie, le bâtiment et l’énergie. Toute ces mesures sont un tremplin à l’entrepreneuriat féminin.
* À propos de l’étude
Cette enquête a été réalisée par Kantar Insights France pour la Fédération Nationale des Caisses d’Épargne. Elle repose sur un échantillon représentatif de 1 010 personnes, interrogées entre le 3 et le 8 février 2025. Enquête Fédération Nationale des Caisses d’Épargne / Kantar Insights