Les arbitrages du Shift Project pour décarboner l’économie bretonne

« La mobilité, le fret, le logement, mais aussi l’agro-industrie et la culture sont les chantiers décisifs de transformation à lancer sans tarder en Bretagne », alerte Yannick Saleman, Chef de projet Emploi et Politique industrielle du Shift Project. Ces cinq secteurs couvrent 17 % de l’emploi et un peu moins de deux tiers des émissions de carbone de la région. A l'occasion du Forum Economique Breton, le groupe de réflexion fondé par Jean-Marc Jancovici a dévoilé ses arbitrages pour décarboner l’économie bretonne, en tenant compte des spécificité locales mais aussi des enjeux « invariants », valables pour toutes les Régions.

Après avoir publié une série d’études sectorielles consacrées à la décarbonation des activités du pays, publiées en 2021 et 2022, puis réunies dans un plan de transformation de l’économie française (PTEF) plus global, le Shift Project a souhaité confronter ses méthodes aux réalités du terrain, en débutant par la Bretagne, en collaboration avec ses acteurs. L’essentiel des orientations de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) requiert en effet l’engagement des collectivités du fait de leurs compétences liées à la transition écologique : transport, rénovation énergétique, logement, etc. « Vers des économies régionales bas carbone – Une expérimentation en Bretagne », tel est l’intitulé du rapport présenté ce jeudi 12 septembre au FEB.

À ce stade du programme, les experts du Shift Project se sont concentrés sur cinq secteurs particulièrement carbonés et sur leur interdépendance. Cependant, seulement trois d’entre eux ont fait l’objet d’un chiffrage : la mobilité au quotidien et les industries liées, le fret et le logement. Avec toujours les mêmes outils de chiffrage des usages du carbone et la même attention portée aux contraintes en termes de ressources et de compétences. « Ces trois secteurs représentent 150 000 emplois, soit 11,5% de l’emploi breton et plus de la moitié des émissions de carbone. Agir sur un seul secteur ferait reporter le risque d’une rupture en énergie et d’une contrainte carbone forte sur les autres secteurs.»

 

Mobilité quotidienne : investir dans les véhicules légers

En Bretagne, 90% des déplacements sont effectués en voiture. Par ailleurs 2/3 de ces déplacements sont inférieurs à 35 km. « C’est plus qu’au niveau national », poursuit Yannick Saleman. « La décarbonation devra passer par une électrification massive et constante des flottes. La production de biocarburant et d’hydrogène sera insuffisante pour toutes les demandes. » La spécificité de la région autoriserait par ailleurs plus facilement le développement des véhicules légers intermédiaires comme le vélo électrique, la micro voiture électrique ou le quadricycle, notamment en centre urbain.

 

Les arbitrages en faveur de la cyclologistique intègrent un fort impact sur le « dernier kilomètre » : environ 40 % de baisse de consommation d’énergie pour 10 % de part modale prise sur les véhicules utilitaires légers et camions. Mais ces leviers technologiques ne seront pas suffisants. « Il faut jouer sur les facteurs d’usage via un choc d’offre de transports publics, grâce à des trains ou des cars express, en profitant de l’électrification des routes. »

Selon le Shift Project, la faible intensité en capital nécessaire dans l’industrie des vélos et véhicules intermédiaires, en comparaison de l’industrie automobile, ouvre la voie à une forte maîtrise régionale et une capacité d’aménagement territorial. « Il est nécessaire de généraliser l’approche par bassin de vie, renforcer le réseau électrique, s’appuyer sur la base industrielle de la Janais près de Rennes, ou encore créer des plateformes de formation dédiées (soudure par exemple). »

 

Fret : une gouvernance régionale forte indispensable

Pour ce qui concerne le volet fret, le défi s’avère difficile à relever en Bretagne. 95% du tonnage de marchandises par kilomètre est transporté par la route et seulement 1% par voie ferroviaire (contre 9 % à l’échelle nationale). (photo : trafic moyen journalier annuel des poids lourds sur les routes de Bretagne)

Par ailleurs, la région ne dispose pas de réseau de transport fluvial. « Mais d’autres pistes sont envisageables, d’autant plus facilement que les acteurs du territoire, à l’image de Bretagne Supply Chain, montrent une capacité à se fédérer et pourraient avoir un véritable rôle de pilote », met en avant Yannick Saleman. Le Shift Project mise sur une gouvernance régionale du transport de marchandises forte, voir contraignante, pour agir sur la réduction de la demande. Le tout accompagné d’un effort en matière de formation (Dirigeants cadres, chauffeurs, manutentionnaires, personnel de quai, etc. pour la réorganisation des modèles des flux).

Le groupe de réflexion propose de limiter la demande de transport (en tkm) en transportant moins et moins lourd (emballages) et en augmentant le taux de remplissage des véhicules. Il propose également d’électrifier le parc de véhicules et les infrastructures : « une électrification des cinq ou six axes principaux par catenaires ou induction permettrait de réduire par trois la taille des batteries et donc l’empreinte carbone. » Le renouvellement complet du parc se fait naturellement en 15 ans (horizon 2039). L’augmentation de la part des biocarburants est aussi une option, mais limitée à l’horizon 2030, car elle nécessite des surfaces agricoles dédiées aux céréales.

 

Logement : réduire la vacance

Dans le logement, 40% des consommations d’énergie, réduire la vacance et limiter le nombre de nouvelles résidences secondaires libère de fortes marges de manœuvre pour la construction de résidences principales, tout en allégeant les contraintes énergie-climat. Rénovations globales et performantes à haute dose, développement massif des solutions de chauffage peu carboné, de type réseau de chaleur ou pompes à chaleur, notamment dans les maisons individuelles, comptent parmi les nombreuses solutions proposées dans ce rapport.

« Le taux de construction est supérieur de 50 % en Bretagne à la moyenne française et le nombre de maisons individuelles est supérieur de 15%. Il faut donc réduire la part des logements individuels dans les nouvelles constructions et miser sur des matériaux biosourcés ou peu carbonés… »De même, faute de ressource nécessaire à l’horizon 2050, le bois, fortement utilisé comme solution de chauffage en Bretagne devra voir sa consommation chuter.

 

99 % d’émissions de CO2 en moins à l’horizon 2050

Tous ces efforts se concrétiseraient par une réduction globale de 99 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) à l’horizon 2050. « La Bretagne ferait ainsi sa « juste part » dans la réduction nationale des émissions de gaz à effet de serre aux horizons 2030 et 2050. »

Cette scénarisation repose sur une forte électrification des usages, ce qui à 2050 augmente la demande en électricité de 35 %, pour atteindre 12,5 TWh. »La demande de bois serait réduite de 27 % et celle de biocarburant de 99 %. « Cependant ces choix peuvent présenter de potentielles incohérence avec la planification nationale. » A l’image du bois-énergie dans le logement dont l’usage encore important en Bretagne (malgré une baisse quantifiée de 27 % ) créerait des tensions d’approvisionnement avec d’autres régions et avec d’autres secteurs. Idem pour le biocarburant où même en forte diminution (99%) , la demande bretonne serait 2 à 3 fois supérieure à cette part raisonnable,

15 000 emplois nets créés à l’horizon 2050

Le résultat, sur le périmètre étudié, montre une création nette de plus de 15 000 emplois à l’horizon 2050, soit une hausse 10 % d’emploi. On les retrouve dans la cyclologistique, l’industrie des véhicules légers, les chauffeurs de cars en concurrence avec le fret routier à court terme, la rénovation et la construction. « Il est nécessaire de d’évaluer les tensions par métier pour calibrer les politiques de formation. » Par ailleurs, plus de la moitié de ces 15 000 emplois à créer en Bretagne pourrait l’être dans des zones de densité moyenne. « Cette démétropolisation demande une politique volontariste et un appui fort aux TPE / PME. »

Sur la base de ce rapport, les acteurs économiques bretons doivent approfondir les analyses et lancer les débats. Ils doivent surtout planifier et faire des choix politiques en fonction de la trajectoire nationale pour éviter toute forme d’isolement. « Ils ont désormais l’opportunité d’anticiper et de négocier les arbitrages sur une base objective, par secteur et entre secteurs et selon leur territoire, plutôt que de les subir bientôt de manière chaotique. L’engagement fort de l’État dans le processus est capital. Il doit assurer que les investissements structurants seront réalisés en conséquence, et appuyer par une gouvernance régionale forte sur l’énergie et la matière. Il est urgent de lancer ce dialogue social inédit pour aboutir à des transformations régionales décisives pour relever les défis énergétiques et climatiques », conclut Yannick Saleman.

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