Véronique Maignant, le 09.01.2017
Entrepreneuriat féminin : vous aussi, lancez-vous !
Alors que la question de la parité homme-femme est au coeur des politiques publiques et des débats de société en général, le nombre de femmes dirigeantes d'entreprise dans l'économie progresse lentement. Qui sont-elles ? Comment se perçoivent-elles ? Comment envisagent-elles leur fonction ? Pour le savoir, nous sommes allés à la rencontre des Femmes qui font l'économie.

En France, 30% des créateurs d’entreprises sont des femmes mais elles ne sont que 14% à la tête des entreprises de plus de 50 salariés. En Bretagne, 7,1% des établissements de 10 salariés et plus, ressortissants des CCI, sont dirigés par des femmes, un chiffre en stagnation depuis plusieurs années (source : CCI Bretagne).
De manière à encourager les femmes à se lancer dans l’aventure de l’entrepreneuriat, le réseau des CCI soutient des initiatives comme celle du ministère des Droits des femmes qui a élaboré en 2014 un programme d’aide avec l’accès facilité au crédit bancaire et un travail avec les réseaux d’accompagnements.
L'importance des réseaux
Si la représentation féminine dans les sphères dirigeantes reste faible, « le monde bouge et je suis très confiante sur une évolution rapide de l'entrepreneuriat féminin, note Marie-Anne Simon, chef d'entreprise, élue au sein des CCI de Bretagne et Rennes, et représentante de la chambre de région aux Trophées des Femmes de l'économie. Je constate que les femmes prennent de plus en plus conscience de leur talent. Aujourd'hui, la transition numérique leur permet d'exercer leur activité professionnelle tout en restant proche de leur famille. Au sein des principaux réseaux féminins en Bretagne, tels que Entreprendre au Féminin Bretagne, Femmes de Bretagne ou encore Force Femmes, les femmes porteuses d'un projet trouvent des réponses à leurs questions mais plus encore la confiance, le courage et l'énergie dont elles ont besoin pour se lancer. A mes yeux, il n'existe pas UN modèle de femme dirigeante, ni UN modèle d'homme dirigeant : l'équipe a du génie ! L'entreprise est un acteur économique avec un rôle sociétal. Il est logique qu'elle soit composée d'hommes et de femmes animés par un chef d'orchestre : le chef d'entreprise."
La création d'entreprise, voie privilégiée par les femmes
Les modes d'accès aux fonctions de dirigeant(e) d'entreprise varient sensiblement en fonction du genre (1). En effet, si les femmes comme les hommes y accèdent d'abord en créant eux-mêmes ou en rachetant leur entreprise (44% pour les premières et 43% pour les seconds), elles le deviennent le plus souvent par transmission familiale (22% contre 16% pour les hommes). A l'inverse, elles le deviennent moins par recrutement externe (7% contre 14% pour leurs homologues masculins).
A 30 ans, armée d'un diplôme d'ingénieur tourisme et culture, Anna Beyou fait partie de ces femmes qui ont créé leur entreprise, guidées par l'envie de vivre de leur passion. Si l'aventure démarre en 2009, c'est un an plus tard, qu’elle s’associe avec ses concurrents, Jean-Baptiste Roger et Erwan Goullin pour créer 727 Sailbags. Basée à Lorient, la PME développe une gamme de produits designés et confectionnés à partir de voiles 100% recyclées. Elle connaît rapidement le succès et emploie aujourd’hui une trentaine de salariés pour un CA de 2 millions d’euros. Aujourd’hui, Anna Beyou, appréhende sa fonction en reconnaissant que la progression du nombre de femmes dirigeantes est lente en raison notamment du contexte éducatif et/ou du milieu socio-culturel.
« Les femmes doivent cesser de culpabiliser »
"Chez 727 Sailbags, l'équipe est constituée en grande majorité de femmes mais la recherche de l'équilibre est indispensable. A compétences égales, les femmes sont plus intuitives et plus adaptables. La pugnacité, la force de créativité et mon enthousiasme sont, je pense les atouts que mes collaborateurs retiennent dans mon style de management. La mutation sociétale est longue et je continue à faire rentrer trois journées en une pour assumer à la fois mon rôle de mère, d’entrepreneuse et de femme.
Aujourd'hui, l'entreprise arrive à un tournant. Sa croissance est telle que je dois accepter de lâcher prise sur certaines fonctions pour continuer à voir grandir mes enfants. J'invite les femmes à cesser de culpabiliser et à reconnaître que c'est parfois difficile d'être sur tous les fronts. Je suis à cheval entre la génération X et Y, de nouveaux métiers émergent et même si je constate des évolutions dans l'écosystème entrepreneurial, le chemin à parcourir reste long pour que les femmes occupent un jour leur place dans un monde encore et toujours dirigé par les hommes. Il y va pourtant du développement de notre économie, de la création de richesses et d'emplois dans notre pays. "
Femme d’engagement, Anna Beyou a accepté d'être la marraine de l'édition 2016 des Trophées des Femmes de l'économie Grand Ouest qui se tiendra à La Baule, le 30 septembre prochain.
Trophées des Femmes de l'économie, la force de l'exemple
Rassemblant les principaux réseaux féminins au sein de son jury, les Trophées des Femmes de l'économie mettent en avant la réussite professionnelle et l'investissement des femmes dans l'économie de leur région. L'aventure a commencé en 2010 en PACA et s'étend désormais sur six territoires dont le Grand Ouest réunissant Bretagne et Pays de la Loire. Pour mémoire, la Bretonne, Rachel Denis-Lucas codirigeante de l'entreprise Denis Matériaux (35) a été Lauréate nationale 2015 dans la catégorie femme chef d'entreprise.
" Engagée dès le départ dans le projet des Femmes de l'économie à l'échelle de notre région, reprend Marie-Anne Simon, je participe avec un intérêt croissant au jury des Trophées et ne cesse d'être impressionnée par les qualités des candidates, leur engagement dans la réussite de leur entreprise. Je suis admirative de leur envie de faire toujours mieux. A chaque cérémonie, nous rencontrons des femmes heureuses d'être "enfin" reconnues. "Les femmes sont des hommes comme les autres" et elles ont toute leur place dans l'économie de notre région. La wonder-woman n'existe pas. Et Anna Beyou de renchérir : " c'est indispensable de s'engager, d'encourager les autres femmes à se lancer et montrer que la réussite est toujours possible. Les Trophées apportent une réelle visibilité, un réseau et la reconnaissance. C'est essentiel pour garder confiance en soi ! »

Marie-Anne Simon
Elue CCI Bretagne
Parole d'élu
« Les femmes doivent prendre leur place dans la gouvernance des CCI »
« Les chambres de commerce sont en pleine mutation et la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes prévoit une exigence de parité dans les binômes titulaires-suppléants candidats aux CCI de région. Cette disposition aura pour effet d’augmenter considérablement la présence féminine dont le nombre d’élues au niveau régional est aujourd’hui de 5 sur un total de 56. J’invite les femmes entrepreneures à prendre toute leur place dans les prochaines équipes. S’engager à la CCI, c’est apporter sa contribution, les connaissances de son métier dans une équipe d’élus venant de toutes les professions avec la volonté de tout mettre en œuvre pour favoriser le développement économique de notre territoire et de notre région. »
30-50
Repères
Principaux réseaux féminins de soutien à l'entrepreneuriat - Entreprendre au féminin Bretagne, www.entreprendre-au-feminin.net - Femmes de Bretagne, www.femmesdebretagne.fr - Force Femmes, www.forcefemmes.com
TÉMOIGNAGES
Avant tout, croire en soi-même !

Michaela Langer a fondé Triskem International en 2007 à Bruz (35), suite au transfert par Eichrom Technologies Inc., son ancienne maison mère, des procédés de fabrication de la résine et des droits de commercialisation sur une partie du monde. Aujourd’hui elle emploie 15 personnes pour un CA de 2,25 M€ dont 74% à l’export.
Née en Allemagne, Michaela Lange est docteur en chimie. L’occasion de prendre un poste en France s’est présentée en 1997 quand son employeur, le groupe américain Eichrom a souhaité ouvrir un bureau de vente à Paris. « Je n’avais que 30 ans mais j’ai obtenu le poste. Je maitrisais parfaitement l’anglais, beaucoup moins le français mais j’ai appris sur le tas. A l’époque, nous étions très peu de femmes à travailler dans ce secteur mais j’ai toujours pensé que je pouvais faire exactement comme un homme. C’est une question de courage et de désir d’entreprendre.» En 2003, Eichrom Europe s’installe à Bruz près de Rennes et Michaela Langer en prend la tête. Elle la dirige jusqu’en 2007, car cette année-là, Eichrom décide de céder une partie de son activité. « Après avoir gravi tous les échelons, je ne me voyais pas reprendre un poste de cadre au sein d’une entité française. J’avais goûté à la liberté d’entreprendre, je tenais à la garder. J’ai donc proposé de racheter l’activité historique d’Eichrom Europe et le droit à la production de résine en France. Nous avons signé le contrat de rachat au début de février 2007 et j’ai accouché de ma fille 15 jours après. Rien ne pouvait m’arrêter. Avant tout, il faut croire en soi-même. » C’est ainsi que la SAS Triskem voit le jour.
« J’embauche des compétences, pas des sexes »
« Nous avons commencé à 6, nous sommes aujourd’hui 15 personnes dont 9 femmes occupant à part égale avec les hommes des postes à responsabilité. Travailler avec une équipe mixte est un réel avantage pour l’entreprise car chacun a ses forces et ses faiblesses. Cependant, ne vous méprenez pas, je ne suis pas féministe, j’embauche des compétences, pas des sexes. Mon engagement au sein des Femmes de l’économie tient dans ma volonté de montrer aux jeunes, filles et garçons, que malgré la situation économique actuelle, il faut oser, avec de la confiance, tout est possible. Les freins à l’entrepreneuriat sont et restent l’éducation. Il est indispensable de donner aux enfants dès leur plus jeune âge la liberté de choix, la confiance en soi. Aux femmes, j’ai envie de leur dire, allez-y, osez-vous mettre en avant ! » En 2014, Michaela Langer a reçu le prix de la femme chef d’entreprise Bretagne aux Trophée des Femmes de l’économie : « Un grand moment et une vraie fierté qui récompensait toute l’équipe. » !
Il faut cesser de s'interroger sur les différences

Morgane Le Meur a racheté en 2003 l’hôtel-restaurant 4* Castel Beau Site à Ploumanac’h dans les Côtes d’Armor. Aujourd’hui, elle le dirige avec son mari en cultivant l’esprit de famille.
« Sans passion, on n’est rien »
Issue d’une famille d’industriel, son père dirigeait la SA Daunat, leader sur le marché du sandwich, Morgane Le Meur a tout naturellement fait ses premières armes dans l’entreprise familiale. Attirée par le domaine de l’hôtellerie, elle décide de voler de ses propres ailes et démarre son activité avec le groupe brestois B&B. En 2003, l’opportunité de racheter le Castel se présente : « l’endroit était encore exploité sous une forme de centre de vacances pour l’armée, mais j’ai tout de suite pris conscience du potentiel exceptionnel du site. » Elle ouvre l’hôtel-restaurant qu’elle baptise Castel Beau Site dans une logique de positionnement moyen de gamme. « Après quelques années, l’emplacement n’a plus suffi. Nous étions un bon 2 étoiles mais un mauvais 3 étoiles. Il était nécessaire de passer à la vitesse supérieure. » Cette nouvelle étape, elle l’entreprend en 2008 en engageant de très gros travaux de manière à faire entrer son établissement dans le haut de gamme. Fort de 33 chambres, toutes avec vue sur mer, le Castel Beau Site est aujourd’hui un établissement 4 étoiles ouvert toute l’année 7j/7 qui emploie 35 personnes, « autant d’hommes que de femmes » précise- t-elle.
Mettre en avant nos entreprises
Depuis l’ouverture, Morgane Le Meur mène cette aventure avec son mari tout en restant chacun de leur côté : elle, s’occupe de l’hôtel, lui, du restaurant. « C’est un vrai soutien car nous sommes complémentaires. » A la question sur les freins à l’entrepreneuriat au féminin, elle répond : « je pense qu’il faut cesser de s’interroger sur les différences entre hommes et femmes dans la capacité à entreprendre. Piloter une entreprise demande beaucoup de travail et les femmes sont extrêmement travailleuses par essence. Quand les enfants arrivent, certes les journées, voire les nuits s’allongent, mais au final c’est d’abord la passion qui anime tout individu. Sans elle, on n’est rien ! Aujourd’hui, je peux vous dire que c’est tout naturellement que mon fils de 6 ans me demande si je travaille ou non ce soir. » Quand le réseau des femmes de l’économie l’a sollicitée pour participer aux Trophées 2015, la dirigeante a accepté par curiosité. « J’ai découvert d’autres femmes, avec d’autres projets et des parcours de haut niveau. J’ai noué des amitiés. De telles initiatives permettent à un moment donné de positionner les femmes, de mettre en avant nos entreprises, mais aussi de se créer un réseau et de faire du business. Je pense qu’il ne faut pas nier ce dernier aspect, il est même essentiel ! » Effet ricochet ou pas, elle a reçu en janvier 2016 la médaille du tourisme qu’elle a une nouvelle fois partagée avec fierté avec toute son équipe.
Métallurgie : les mentalités évoluent

Gwenaëlle Brenner a créé, fin 2011, G2H29, spécialisée dans le traitement de surface. Depuis, elle a multiplié son CA par trois et pilote un effectif de 10 personnes.
« Les femmes doivent cesser de s’imposer elles-mêmes des freins »
C’est à 38 ans, après avoir occupé trois 3 postes en tant que salarié dans des PME à forte technicité que Gwenaëlle Brenner décide de créer son entreprise. « Ma dernière expérience a marqué un tournant dans ma trajectoire professionnelle. Recrutée comme DG au sein d’un groupe national de galvanisation, je ne bénéficiais pas de la même reconnaissance que les hommes à poste équivalent, notamment sur le plan de la rémunération. Je devais souvent me battre pour montrer que j’avais autant de compétences qu’un homme, qu’en tant que responsable du site, j’étais la seule habilitée à prendre les décisions et l’interlocuteur le plus haut placé. Toutes ces incompréhensions ainsi que quelques divergences de vue en matière de stratégie m’ont amené au bout de 18 mois à me séparer à l’amiable de mon employeur. Ma décision était prise, toute l’énergie que je mettais depuis 15 ans au service des autres, j’allais la mettre dans ma propre entreprise.»
Les réseaux féminins, pour prendre confiance
« Lorsque j’ai présenté mon dossier de financement aux banques en septembre 2011, il a été plutôt bien accueilli. Je maitrisais mon sujet, j’étais passionnée et j’avais deux femmes comme interlocutrices. Je pense qu’elles se sont battues pour moi car en matière de création d’entreprise, les banques accordent moins de financements aux femmes qu’aux hommes. C’est un véritable frein pour des activités comme la métallurgie où les investissements de départ sont assez lourds.» L’autre obstacle rencontré par Gwenaëlle Brenner concerne le droit au congé maternité accordé aux femmes dirigeantes. Ce droit est de 44 jours. « Quand j’ai accouché début 2012, soit quelques semaines après avoir démarré mon entreprise, j’ai dû faire pression pour obtenir une dérogation afin que mon enfant soit pris en crèche à 2,5 mois au lieu de 3 mois, l’âge minimum requis. Durant cette période, le soutien familial est indispensable, les modes de garde à 44 jours étant inexistants. » Ces obstacles de début de parcours n’ont pas entamé l’enthousiasme de la dirigeante. «Aujourd’hui, je suis reconnue pour mes compétences. C’est une réelle fierté que je partage au quotidien avec mon équipe, sans qui l’entreprise n’existerait pas. Etre femme dirigeante dans un milieu aussi masculin que la métallurgie reste encore rare, mais les mentalités évoluent. Les réseaux comme les Femmes de l’économie ou Entreprendre au féminin Bretagne nous aident à prendre confiance en nous, elles nous orientent vers les bonnes personnes. J’invite toutes les jeunes femmes à s’appuyer sur de tels réseaux pour aller jusqu’au bout de leur rêve.»